Actualité kruelle...
Chers Kruels
Découvrez ce que j'ai écrit dans le cadre d'un appel à textes solidaire intitulé:
"un monde sans culture".
Mars 2021
VOL AU DESSUS D’UN NID SANS SILENCE
Une télé ressasse l’invasion covid.
LA TELE :
Covid, 19, saturé, masques, morts, distance, couvre-feu, embolie, réanimation, vaccin, argent, vaccin, dollars, euros, frontière, un mètre, deux mètres, liquide hydro alcoolique, frottez 30 secondes…
Une ambulance arrive, deux personnes en camisole en sorte.
FOU/FOLLE 1 a un cheveu sur la langue.
FOLLE/FOU 1 :
Lavez-vous la bouche
Oui
FOLLE/FOU 2 :
Frottez-vous la langue
Histoire de plus dire de conneries
LE CHŒUR :
Rien ne pousse plus
Longue table rase
Le temps bave et se traîne
Domine ici
Tout autour de nous
La quiétude souffrante
D’un virus excuse
D’un décès du lien
L’armée Covid
Au service toujours
Des gros sous
Dissémine une purée
Gerbes imbéciles
Mélasse débilisante
À distance
Deux femmes
Ou
Deux hommes
Ou
Une femme et un homme
Internés
Folles et fous de lucidité
Elles/Ils gigotent, crient et bavent… Elles/Ils convulsent, leurs corps pénétrables et libres.
FOLLE/FOU 1 :
Fous ?
Nous ?
FOLLE/FOU 2:
En s’adressant au chœur
Je sais pourquoi vous le dîtes
Mais les plus fous c’est
FOLLE/FOU 1 :
Ceux en cravates
FOLLE/FOU 2:
Les monarques
Il se reprend
Les énarques
FOLLE/FOU 1 :
Z’ont pas la lumière
Même le jour
FOLLE/FOU 2:
C’est l’hôpital qui s’fout du supermarché
FOLLE/FOU 1 :
Nous
Disons
Qu’on est des humains aliénés
FOLLE/FOU 2:
Eux c’est même plus des hommes
Et ils se prennent pour des génies
FOLLE/FOU 1 :
Ils sont tellement malins
En y repensant
Qu’ils traitent à coup de rien
FOLLE/FOU 2 :
Ben ouais
Tiens-y une épidémie
Stop on fait rien !
Jachère intellectuelle
Jachère relationnelle
Jachère sentimentale
Jachère artistique
Noir
FOLLE/FOU 1:
Plus rien
Surtout pas de postillons troubadours
Comme ça on tue tout
La covid, la flamme
FOLLE/FOU 2 :
Tout
Les gens
L’intelligence
La folie
La critique
FOLLE/FOU 1 :
En plus
Ces bureaucrates disent c’est le silence.
FOLLE/FOU 2 :
Je sais
Ils rabâchent
Un silence obligé
Qu’ils disent
FOLLE/FOU 1 :
J’ai entendu
Un silence, vie râle
FOLLE/FOU 2:
Elle/Il rit.
Des vrais génies
Silence
Ce n’est pourtant pas du silence
FOLLE/FOU 1 :
Ils croient
FOLLE/FOU 2:
Que c’est du silence
FOLLE/FOU 1 :
Ce n’est pas du silence
FOLLE/FOU 2:
Un silence
FOLLE/FOU 1 :
Du silence
FOLLE/FOU 2:
C’est beau
FOLLE/FOU 1 :
C’est puissant
FOLLE/FOU 2:
Ça existe
FOLLE/FOU 1 :
Ça fait sonner le bruit
FOLLE/FOU 2:
Exemple
FOLLE/FOU 1 :
Nous allons faire silence
Elles/Ils se regardent puis s’embrassent.
Dans le silence
FOLLE/FOU 2:
Vous avez vu, entendu ce silence
FOLLE/FOU 1 :
Son relief
FOLLE/FOU 2:
Sa texture
FOLLE/FOU 1 :
Un silence
Forêt résistante
FOLLE/FOU 2:
Champ de coquelicot
FOLLE/FOU 1 :
Un canyon
FOLLE/FOU 2:
L’amour naissant
FOLLE/FOU 1 :
Un désert
FOLLE/FOU 2:
Tartuffe
FOLLE/FOU 1 :
Une fin de monde
FOLLE/FOU 2:
Solo de guitare
FOLLE/FOU 1 :
Hamlet
FOLLE/FOU 2:
Un poème
FOLLE/FOU 1 :
Une respiration
FOLLE/FOU 2:
Antigone
FOLLE/FOU 1 :
Un suspens
FOLLE/FOU 2:
La chute
FOLLE/FOU 1 :
Elle/Il regarde autour de lui
Sans saltimbanque, tragédie, harmonie, le silence n’existe pas
Tout ça ce n’est pas du silence
FOLLE/FOU 2:
Ce ne sera jamais du silence
FOLLE/FOU 1 :
Ces pingouins nous glacent de vide
FOLLE/FOU 2:
Des bergers du néant
FOLLE/FOU 1 :
Croquemorts d’espérance
FOLLE/FOU 2:
On se casse la gueule, on boit du vide
FOLLE/FOU 1 :
On se remplit de merde
On dit :
« Je broie du vide »
FOLLE/FOU 2:
On s’trompe
On espionne
FOLLE/FOU 1 :
On copie
FOLLE/FOU 2 :
On se trahit
On s’oublie
FOLLE/FOU 1 :
Tu t’appelles comment ?
FOLLE/FOU 2:
Aucune idée
FOLLE/FOU 1 :
On s’oublie
Au fou 2
Réfléchis
Invite le vide
FOLLE/FOU 2:
Money money money
Il/elle danse tapant le sol, regardant le ciel
J’invoque le néant
Il patiente, une pluie de billets s’abat sur lui
Victoire
FOLLE/FOU 1 :
Il est né
FOLLE/FOU 2:
Oui
FOLLE/FOU 1 :
Le divin vide
Enfant du flou battant
De l’esquive
Du nu
De l’absence d’essentialité
Du pognon
FOLLE/FOU 2:
Moi
Moi
Je ne suis donc
Finalement
Rien d’autre que le centre du monde
FOLLE/FOU 1 :
Erreur c’est moi
FOLLE/FOU 2:
Moi
FOLLE/FOU 1 :
Moi
FOLLE/FOU 2:
Moi
FOLLE/FOU 1 :
Moi
FOLLE/FOU 2:
Complice avec le public
Dans le vide les moi se multiplient
Ils se pissent à la raie
FOLLE/FOU 1 :
Le silence collectif profond se fait culbuter
Par des…
FOLLE/FOU 2:
Moi moi moi moi moi moi moi moi moi moi
FOLLE/FOU 1 :
Ta gueule
Faut buter le vide
Le dézinguer
Faire un grand feu de joie
Sans bruit
Festoyer
De mots
D’actes
FOLLE/FOU 2:
De césures
FOLLE/FOU 1 :
De scènes
De partitions
FOLLE/FOU 2:
Retrouver le frisson immortel du silence
FOLLE/FOU 1 :
Le vrai
FOLLE/FOU 2:
Celui des humains
FOLLE/FOU 1 :
Des corps
FOLLE/FOU 2:
Des sexes
LE CHŒUR :
La folie
Révèle la radiation
Le manque
Ils jouent ici
Devant nos yeux
Nos avenirs
Ils parlent à nos épidermes conditionnés
Désormais
Nos corps empêchés
Nos cerveaux distraits
Fondu en moi, moi, moi, moi
Electrochocs délirants
Vivent de spectacle
Enfin
Ils s’éjectent du covid et ses excroissances
FOLLE/FOU 1 :
Ils nous musèlent
FOLLE/FOU 2:
Javelisent nos vies
FOLLE/FOU 1 :
Ahahahahah
Virus aseptisant
FOLLE/FOU 2:
Pied de nez
FOLLE/FOU 1 :
Pied au cul ouiiiiiii
FOLLE/FOU 2:
Bas les masques
FOLLE/FOU 1 :
Moi pas normal
FOLLE/FOU 2:
Moi aussi pas normal
FOLLE/FOU 1 :
Nous pas normal
FOLLE/FOU 2:
Normaux
FOLLE/FOU 1 :
Normés
FOLLE/FOU 2:
Nous Utiles
FOLLE/FOU 1 :
Nous emmerder vous
FOLLE/FOU 2:
Nous défier
Vos attestations bancales
Vos couvre-feux
Vos jauges
Noir
Lumière
Show must go on!
Les ambulanciers les remettent dans l’ambulance et partent.
Tous droits réservés à Rémy Tenneroni alias K
Chers Kruels
Les événements bouleversants des dernières semaines me poussent une fois de plus à écrire.
09/11/2020 Corse du Sud
Arrachés
Musique.*
Dire à haute voix.
Figent les mots
Engourdissent
Déshumanisent
Bla bla médiatique
Buzz-barbarie
Audimat abomination
Monstruosité
Sauvagerie
Les termes s’empilent
Essorés de nous
Nous
Flashés par les écrans
Violés à outrance par un journalisme opportuniste
Placardés, séparés copieusement
Chacun dans son giron
S’ancrent peu à peu des habitudes
Nous manions le verbe à l’illimité sans jamais plus le ressentir
Sombres automatismes
Autistes contemporains devenus
Si détachés
Silence
La violence s’inscrit dans nos vies,
Nous la normalisons,
Nous l’exhortons
Virtuels virtuoses
Remerciant secrètement, ce putain de ciel
Qui n’est rien d’autre que le ciel
Qu’elle frappe à la porte d’à côté
Je voudrais présenter mes excuses directement aux victimes et à leurs familles
Les corona et capitalismo virus amplifiant notre individualisme
Les BFM, CNews et autres droguant nos lucidités
Je me suis, perfidement, perdu dans mes superficiels apitoiements
Touché à la va vite
Entre deux annonces
Derrière mon masque
Ensuqué de télé
Pendu par la radio
Toussant dans mon coude
Textotant à l’infini
Culbutant mon caddy
M’épanchant sur les réseaux
Crachant béat
Distant des autres
Inlassablement plus
Mes propres listes
Doléances modernes
La taille de mon poil
La beauté de mon assiette
Mes couvre-feux
Ce que je ne peux pas être
Accusant le monde de mes inactions
J’ai dévisagé le néant
Muté en trou noir
Pris part à toutes discussions dans l’anonymat du clavier
Dans l’égoïste nouvelle réalité
Incendiant l’expression libre
J’ai confondu baver et dire
J’ai proliféré dans la débâcle
Sans exigence
Sans lumière
Sans ardeur
Sans pénétration
Sans amour
Étant un de plus
Accolé
Sécurisé
Agrégé
De loin
Par peur ?
Par précipitation ?
Par inconscience ?
Par dépit ?
Par sournoiserie ?
Par usage ?
Je ne sais par quel stratagème de renoncement
Quel abandon, j’ai oublié
Le sang qui coule
Et les larmes
La mort
Ce que représente une éternelle séparation
Le silence
L’absence d’une mère
La carence d’un ami
À quel point ça prend aux tripes
Ça s’incorpore dans nos parois
À quel point l’horreur s’éprouve
Silence
L’injustice, si je l’écoute vraiment
Déforme mes boyaux
Fait mugir et casse mon anatomie
Ma tête tombe
Mon cou est tranché
Jugulaires en asperseur
Je suis…mort
Silence
J’ai négligé
La chair
Dont nous sommes tous faits
Silence
Je veux revivre en corps
Emporté nécessairement par ces tourbillons infernaux
Mon être tout entier, brutalisé des meurtrissures indicibles
Des arrachements jumeaux
Nos amputations
Samuel, Vincent, Nadine, Simone et les autres…
Nos disparus
Vous devenez force vive
Blessure de volupté
Pour, en guise de combat
Réunir
Tous comme un
Seuls nos corps écoutés, recomposés, pleurent enfin les mutilations
Disparitions acariâtres qui nous racontent
Nous testent
A l’infini
Sans mesure
Décrivant toujours et encore plus nos contours
Nos volontés
Nos enfances
Alors
Plus haut,
Plus loin,
Plus fort,
Que les divagations inconsistantes
D’une presse morbide qui reconnaît les assassins à l’audience
Que les incantations
Psaumes ou autres pamphlets
Coran, Bible, Torah
Elevons nous
Tous comme un
Corps à corps véritables
Peaux à peaux indispensables
Organiquement cramponnés contre l’obscurantisme
Sensibles, simplement
Humains
K
© Rémy Tenneroni
*Johann Sebastian Bach Double concerto for 2 violins, string and continuo in D minor, largo ma non tanto
Chers Kruels,
Nous est vivant. Vivez le, dîtes le (photo ou vidéo) et partagez le texte.
30/04/2020 Corse du Sud
Nous est Vivant
A Jules pour le souvenir…
A Thomas pour l’avenir…
Après la fièvre et les cris, un écho…
De femme,
D’homme,
D’espèce
Toujours depuis ce jardin idyllique
Confinement empoisonné
Depuis mes affaires
Ma vie
Un sentiment
Se déclare et m’enflamme
Enfermé
Recentré
Protégé
Mais vivant
Vivant de vous
Merci
Pour ces lueurs dans mon couloir
Multiples à vos images
Enchantées
Ces voix qui essuient mon front
Atténuent mes suées vaines
Et saupoudrent des possibles
Tous soignants
Guérisseurs mutuels
Des lumières dans le chaos
Nos yeux ouverts ou fermés
Nos espoirs phosphorescents
Merci pour la résonance
Cette vibration
Soutien électrolysant
Elle écarte mes culpabilités
Et dans l’interdiction sanitaire
Retisse nos mains
Joint nos corps
Nos peaux glacées du vide
Je plonge, replonge
Gueule de bois et je crois
Je n’ai plus peur...
Solitaire collectif
Funambule assisté
Je profère, m’intègre et fais partie
Retrouvailles
Dans les nuées du virus
Encouragé par vos témoignages
Mes poumons et mon cœur dansent
Narguant la pandémie
Trop plein globalisé
Mes poumons et mon cœur vacillent autrement
Des enfants
Une horde sauvage
Amoureuse et ouatée
De vos présences rassurantes
Vos enthousiasmes vitaux
Mais aussi de cette peine éthylique
Alcoolisée des départs
Tristesse, grande
Parabolique
Seul
Fendu
Mais finalement
Agité de vous
Tous
Inconnus de ma vie
Morts ou vivants
Décimés
Arrachés, éloignés
Ou riant
Innocents, fiers et volontaires
Je ressens vos forces et vous témoigne les miennes
Après la fièvre
Un virage convalescent
Une obstruction
Les gouttes maladives de mon front
Deviennent larmes
Un œil pleure
Obscurci du désastre
Essoufflé
L’autre courageux
Droit devant
Malgré les écoulements
Reste fixe
Comme une idée enfouie
Inamovible
Une révolution nouvelle
« Oh liberté, liberté sainte, déesse d’un peuple éclairé »*
Chers inconnus luisants
Vous de qui j’ai reçu ou non des enragements
Citoyennes, citoyens,
Femmes, hommes
Ensuqués
Fiévreux
Depuis le début
Alertes
Dépassons la perdition
Fuyons
Nos pulsions libérales
Nos accessions
Nos possessions
Nous avons délaissé la confiance
La chaleur humaine
Pour capitaliser
Nous transpirons nos impuissances
Nos renonciations
Endurant cette crise
Pleurant nos stratégies
Confondus, pliés
L’échine arquée et violacée des coups et des mensonges
Je m’en veux de vivre avec
M’habituer
Mon matelas se gorge de ces sudations nauséabondes
Opaques
Politiciennes
Une eau croupie
Remplit l’intérieur de nos confinements
Et nous oblige cette fois à ouvrir nos fenêtres
Évacuer toute cette fange purulente
Ces bubons infectés qui nous aspirent
Nous gangrènent
Nous éliminent
Nous inondent
Réanimation respiratoire collective et forcée
Connaître, renaître
Nous
Tous
Muter ami ou parent
Sœur
Frère
Nous entendre, élaborer
Divaguer des souvenirs intimes
Non-dits
Histoires brèves ou embrasées
Histoires communes
Qui rassemblent et plus encore
Depuis nos lucarnes distanciées
Haut perchés
Les yeux
Dans les yeux loin
Dans les autres yeux loin
Dans les yeux
Renaissance intime et universelle
Renouveau social
Nous ne sommes pas que travailleurs
Télétravailleurs
Ni profils
Cibles
Followers
Numéros
Ou comptes
Nous sommes
Corps
Ame
Goût
Empreinte indivisible
Destinée unie
A votre balcon
De la main de votre choix
Ressentez votre peau
Le contact
Serrez votre autre main avec la force d’un ami
Touchez votre joue avec la délicatesse d’un parent
Impulsez un salut ample et vivifiant adressé à un étranger
Au présent
Niez la virtualité
Frôlez finement
Renouez avec la chair
Tout geste
Toute sensation
Existe à travers l’autre
Est imprégnée
De nous et de l’inconnu qui passe
Son organisme
Comme le nôtre est appel
Invitation
Cette distance obligée
Ce mur sanitaire
Qui nous contraint aujourd’hui
Réaffirme ces ardeurs
Abîmées mais décidées
Fuck Netflix
En épisodes
En réalité
Se dessine notre série
Guillotine
Marchons pour que le sang impur du capital
Abreuve nos sillons insurgés
Militons notre propre appartenance
Notre communauté libre arbitre
Réunis pour nos droits
Après l’éclosion innombrable de victimes
Additionnées à toutes les autres victimes
Nous, en bourgeon
Les deuils chevillés
Assoiffés de la lumière derrière les cercueils
Armée turbulente de vie
Bercés d’un printemps exaltant
Fomentant une nécessité commune
Nos pas conjoints sur la prairie du néant
Frappent un unisson fondateur et valeureux
Liberté, Egalité, Fraternité
Jeté aux visages de nos nouvelles servitudes
Magnifié pour reconquérir ce Nous
Riche de différences, de singularités
Solidaire et Alternatif
Nous, irrévocable, est résilience
Participation
Mutualisation
Réappropriation de nos destins
Libres et pacifistes
Nous, définitivement, bourreaux
Exhortation puissante au pied de l’échafaud
Nous met à mort le roi
L’argent
Incontournable évasion du confinement mondialisé
Aux armes
Mes inconnus
Au boycott
Au désordre
A la vie
Du virus nait la lame
Parce que nous est vivant !
K
© Rémy Tenneroni
*Hymne à la liberté
Chers Kruels,
K vous offre ce texte ! Prenez le temps de le lire ou l'écouter et de l'offrir en retour.
05/04/2020 Corse du Sud
Fiévreux
Texte à offrir en retour
Pandémie,
Sans être malade
Je suis fiévreux
Constamment le front bouillant
Comme vous, femmes
Ou hommes
Peut-être
Au fond
Mes suées sourdes d’animal intelligent
Malaxé de tabous
De blancheur outrancière
Hypocondriaque
Serpent parmi les serpents
Craintif
Femme
Homme
De ce corps
Celui-là même
Se dépêtrant des jeux de pouvoir et d’assouvissement
De ses propres paradoxes
Tantôt sado
Tantôt maso
J’écoute alerte et désemparé
Comme tous
Tout autour de moi le virus personnifié
Il s’appelle Covid-19
Il est malin
Invisible
Il s’installe et se transvase
Un coucou
Discret et destructeur
Il est contagion
Tel un robot je répète
Le lavage de main
La désinfection de ma bulle intime
J’esquive le postillon
La main sur la poignée
L’Autre
Je lui tourne le dos par peur de mourir
J’accueille Covid-19
Sans l’avoir invité
Sans l’avoir rêvé
L’hallucination bien réelle
Me cloue au sol
Submersion
Nous l’avions peut-être pensé
Vu à la télé
Ou évoqué
Planqués dans nos vies
Nous jouions à gagner notre pain
A persévérer nos jours meilleurs, ensystémés
Agrandissant nos contours extérieurs
Épandant notre pisse toujours plus loin
Plus profond
Plus haut
Plus incrustée
Oubliant les autres crises
Génocides
Migrations
Nos consciences paralysées
Délaissées
Serties d’injustices négligées
Covid entre
Insidieusement
Notre calme traître est perturbé
Rétréci
Infiltré
Le risque n’est plus à la télé
Ou dans un autre coin du globe
Le virus nous confond…
Nous dévoile !
Nous teste finalement
Menaçant
Il m’aplatit sur mon propre carrelage confiné
J’y gis, songeur à la con
Ma libido narrative morte
Ni monstre ni bourreau
Victime des autres
Victime avec les autres
Fiévreux
Ce sentiment d’impuissance gonfle les veines de ma tête
Mon sang frappe constamment mon front
Même non infecté
Je crois
Je ne suis pas malade
Je suis malade
Je ne suis pas encore malade
Fiévreux
Sûr de rien
Sinon que les maux qui cassent ma solitude
Sont des lésions froussardes
Apeuré par le microbe
Celui de l’inflammation démesurée
Celui de la détresse respiratoire
Chaque journée confinée se déchire
Ou déchire
Mensonge
Dans la lenteur d’heures à nous
Notre temps réapproprié
Dans le goût d’une simplicité reconquise
Foulée circadienne
Dans mon rythme biologique
L’absence et la mort planent
A l’aube
Alors que le soleil franchit la clôture
De mon jardin
En quarantaine
Le présage est morbide
Je ressens l’absence cruelle
D’une humanité fracturée
Depuis des décennies
Qui peine à lever la tête
Les deux genoux au sol
Le silence me rappelle que je suis vivant et rare
Ce virus
Un râle mondial qui perce cette quiétude
Perfidement, il macule chaque instant
Distrait mon endurance
Trouble chaque éclat recouvré
Chaque brindille rattrapée
Ma cage thoracique s’épuise
Étourdie d’une imputation curieuse
Brûlante
Le vide civilisé et les corps s’entassent devant nos confinements
Une frontière virale autour de nos havres de paix et d’amour
Toujours autruches
Mais cette fois par nécessité vitale
Tellement heureux d’être confinés
Protégés
A l’écart du risque
Du germe innocemment porté par des congénères
Parfois devenus tueurs
Alors bruyamment
Nous fêtons nos soignants
Nous créons des héros
Nos héros
Pour cacher nos fêlures
Nos maladies
Partout,
Ici et là
On soigne et meurt de loin
Ce virus en même temps qu’il nous terre
Nous effraie
Nous efface
Nous révèle
Nous avoue
Met en exergue
Sublime nos résignations
Paroxysme de l’individualisme et la libéralisation
Il infiltre les coupes drastiques
Il fête le bûcher des conquis sociaux
Il finit le travail
Il prive l’humain d’humain
De contact
De force collective
D’amour
Il détisse la plus infime partie du lien
L’infecte, remplissant d’eau les poumons
Par vagues, il nous éloigne toujours plus
De mètres en mètres
Il nous interdit le chevet de nos malades
Tout comme nos morts qui font route seuls
Sans épaules pour tenir le cercueil
Sans tristes embrassades
Perdus
Mon corps fébrile
D’une crainte latente
Pour moi
Pour les miens
Vraiment
Me révèle
En écho de mes entrailles
Que Covid-19 éradique
Il fait perler la mort tout autour
Et le chaos
Chaque corps empoisonné
Suffoquant
Toussant
Un cornement infecte
Qui chuinte l’asthénie
Je ne me retrouve pas dans l’impuissance
Je l’ai trop acceptée
Elle me dévore
Je la vomis
Elle s’installe peu à peu
Exilée en moi
À faire battre le pouls sur mon front
Incandescent
Je somatise une couronne d’épines
Développe l’abandon
Deviens confiné hors de moi
Je suis immobilisme,
Trou béant
Déplorable
L’isolement nous désengage
Le soleil sur ma peau
La terre dans mes ongles
Les odeurs
Le temps
Cette suffisance est un mirage
Toute suffisance est un mirage
C’est
Finement con
Confinés
Cons finis
Morts vivants
Le poignard encore dans le dos
Chacun sur les réseaux
Gargarise la durée heureuse
De l’internement chez lui
Au milieu de ses lectures
Ses séries
Ses petits plats
Son jardin
Infiniment petit
Spectre minimal
En crise maximale
Crescendo
L’infiniment con rit lorsque le monde pleure
Il se retrouve quand le monde est perdu
Éloigné de soi
À côté
Se retrouver ?
Se reconnecter à soi-même ?
Un virus pour écouter son propre souffle ?
Un virus, qui éteint le souffle, pour s’entendre respirer ?
Des morts pour les vivants ?
Quel horrible remord qui s’amoncelle
Sédiment éternel dans nos vies
Il voudrait que nous oubliions que nous sommes femmes et hommes
Ils voudraient que nous oubliions que nous sommes femmes et hommes
Dépendant les uns des autres
Parlant
Riant
Pleurant
Se serrant
S’étreignant
Cohorte
Si nous oublions que nous sommes femmes et hommes
Que nous faisons société
Nos vies désormais brodées du noir des milliers de noyés du Covid
Se gangrèneront
Il amplifiera notre chute
Alors
Ferveur
Honneur à tous les disparus
Dans une enjambée ardente
Une clameur inédite
Depuis l’intérieur des maisons
Depuis l’intérieur de soi
Chacun en mots liés et entrelacés
Doit dire
Écrire ses tourments
Son manque de l’autre
Cultiver les sourires anciens
Réminiscences et solidarités
Mémoires d’étreintes
Liens
Fidélités
Ainsi peu à peu
Au-dessus
Des rues vides
Des centres commerciaux vides
Des banques vides
Des parcs vides
Des hôpitaux bondés
De la nasse médiatique
Dans les oreilles et poches des blouses blanches
Dans le creux de notre confinement
Naîtront des diamants
Chuchotant d’abord puis criant le renouveau
Pétri des maux contemporains
Ce tourbillon poétique
Agitera nos molécules saines ou infectées
Faisant de nous des gardiens
D’une existence sensible
Avec comme seules possessions
Nous
En corps et en mots
En humanité
Chacun dansera une vie reliée
Chantant des phrases justes
Parce qu’essentielles
Justes parce qu’originelles
J’écris et le sang bat mon front à nouveau sans répit
J’écris et mes craintes grondent
Mes mots ne suffisent pas à calmer ma fièvre
J’écris et j’appelle à l’aide
Endolori par la tristesse des expirés
Je veux penser à demain
Dites-moi que « nous » est vivant
Que chacun d’entre nous manque
Qu’ensemble nous écrirons un autre chemin
Un bijou sensible et démocratique
Qui guérira la fièvre…
K
© Rémy Tenneroni